En passant

50 nuances de moisi(ssures)

Il pleut, c’est malheureux il pleut, depuis ce matin… (La bande son idéale pour lire ce post)

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Voilà, je voulais vous torcher un petit post parfaitement truculent sur l’acquisition de notre pick-up Mitsubishi L200 (oui je suis désormais capable de donner la marque d’une voiture ET son modèle, je progresse tous les jours dans des champs de compétences totalement insoupçonnés). Et puisqu’il en va sans doute des blogs comme des productions TV, et pour paraphraser l’un des plus singuliers visionnaires de Nouvo, voire de la RTS (Simon-Pierre si tu me lis, ta pensée traverse les années et les océans): pour faire vibrer les foules, rien de tel que du cul ou à défaut… des bagnoles. Bref, c’eut été grandiose, galvanisant, une histoire à rebondissements multiples avec du suspens, des personnages troubles, un Juif américain et des Pakistanais, pas de stupre mais alors de la grosse cylindrée, en veux-tu-en voilà.

Mais en fait non ! Parce qu’ici il pleut. Oui alors vous allez me dire dans le genre non-événement t’as rien trouvé de plus excitant, c’est pas une raison pour arrêter de vivre ou d’écrire sur les voitures (là il ne faut juste pas rentrer en matière, sauf si on est payé pour le faire, ce qui m’est arrivé une fois dans ma vie, long short story). Et pourtant si ! Alors déjà, quand je dis il pleut, il faut s’entendre sur la sémantique. C’est fondamental pour comprendre la diatribe qui suit ! On ne parle pas d’un petit crachin breton, tout léger, tout fluide, tendance brumisateur Evian. Ni d’une de ces petites rincées estivales sur le deck de la Jetée de la compagnie, « tiens, il goutte dans ma Nébuleuse » (mes références sont à la profondeur du Léman de nostalgie dans lequel je me noie en ce moment). Nan, nan. Ici, il serait plus approprié de dire – enfin si le Larousse l’avalisait – il déluge. En trois mois au Panama, il s’abat l’équivalent d’une année de flotte en Suisse (fermer vos mâchoires). Donc toute cette humidité, outre la vertu de me faire friser comme un caniche en fin de vie, me moisit l’humeur. Mon moral a l’allure d’un Roquefort anti(migros)daté. (lol)

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Effet collatéral: je tourne, et retourne, en boucle le petit refrain de tout ce qui nous fait défaut ici, (un supermarché, des amis, de l’eau chaude, des amis, des fringues sèches, des amis, un cinéma, des amis, du wifi, des amis, du chocolat, des amis, de l’animation, des amis, mon vélo chéri, des amis, Netflix, des amis à la Bossette, des amis à portée de main, des amis de confiance, des amis de confidence, des amis de tous les jours, des amis de toutes les nuits, sortez les violons, mais putain quand même vous nous manquez les amis). Même Michel Houellbec doit avoir une vie sociale plus riche que la nôtre en ce moment. Bien qu’il m’arrive de cultiver parfois ce côté sauvageonne introvertie, moi avoir peur du monde extérieur,  c’est toujours voulu, jamais subit, une nuance de taille. Autant dire que la contrôlante en moi qui s’agite et vit sa propre life – « elle est libre d’accord ? Elle fait ce qu’elle veut comme elle a décidé, quand elle a décidé, elle est pas venue ici pour souffrir, okay… » – se ramasse claques sur branlées depuis quelques semaines…

Évidemment, hein, merci, je suis au courant, c’est un choix, je vous signale que je l’assume, c’est pas pour autant qu’il est interdit de trouver des processus expiatoires, ni de broyer du noir (comment ça, se plaindre?)! Positiver, accepter l’impermanence des choses, cette situation est provisoire, inspire, expire, chien tête-en-bas, leggings et graines de chia. A ce rythme on finit dans un Ashram en Inde ce qui est bien la dernière image à laquelle j’ai envie de me raccrocher en ce moment. (Retour de la clope, alcool tous les jours, c’est dire si karmiquement (et oncologiquement parlant), on est plutôt sur une pente descendante (retrouver une vie plus simple et plus proche de la nature qu’ils disaient, hum, ouais, bon, ça c’était avant, cf. le premier post de ce blog).

Trêve de cynisme, si j’ai tout loisir pour cultiver mon marasme, c’est que ce torrent qui nous pisse dessus fige absolument toutes les activités de remise à niveau de la guest-house qu’on est censés ouvrir en décembre (ah oui, parce qu’on est là pour ça en fait, pas pour anéantir notre vie sociale, ni s’essayer à des formes sévères de dépression). Sysiphe, vous voyez, la pierre, la montagne, l’éternel recommencement, tout ça ? Pour poncer ou peindre des murs (beaucoup), des chaises (30), des tables (7), des barrières, il faut qu’ils soient secs. En milieu tropical, pour les sécher, il faut du soleil. S’il pleut, attention perspicacité, c’est mouillé , donc ça moisit, alors il faut poncer puis peindre, mais il pleut… (à ce propos, si vous aussi  -ça m’étonnerait- vous avez des murs qui moisissent, un petit coup d’eau de javel à l’éponge dessus, et c’est terminé, quand je vous disais « champs de compétences insoupçonnés », c’était pas du bluff). Du coup, « El hombre » se dit qu’il va plutôt poser des étagères dans la cuisine, mais il n’a pas de vis. Le supermarché est à 2h. Il pleut. La route est une rivière. Il a acheté une Mitsubishi L200, pas un Zodiac. Donc il regarde la pluie tomber sur le toit de tôle, toi tu le regardes lui. En silence, pas le choix! C’est physique, mais des gouttes de pluies lancées à pleine vitesse sur un toit de tôle ondulée, ça produit des décibels à en faire blêmir le Hellfest!  Résignée tu fais une lessive (on n’en est plus à une activité genrée près). Elle n’est pas très propre, mais ce n’est pas le propos. Ça c’est plutôt la machine conceptualisée pour le tiers-monde qui lave (pas justement) à froid  Tu n’as pas de sèche-linge. Et, rappelons-le pour les distraits, il pleut. Tu regardes au choix : tes fringues moisir, ou la pluie tomber (aller, avoue, toi aussi à ce stade tu commences à percevoir les 50 nuances de moisi bleu nuit).

Tu n’as pas d’amis, tu n’as pas de wifi (nous utilisons la 3G de nos téléphones, 2Go coûtent 15.- , c’est peu, c’est cher, (nous n’avons pas de revenus pour l’instant) pas de quoi s’oublier en avalant la saison 4 de Bron Broën, ni même les 3 première minutes du 1er épisode d’ailleurs). Mais heureusement tu as un Kobo avec notamment un Sylvain Tesson pas fini (une première) et de l’excellent (pléonasme) Philippe Janeada dedans, vive les liseuses électroniques (voilà pour la touche positive du jour, pas mieux en stock, désolée).

En guise de conclusion à ce post pas jovial pour un rond, je dirais, et c’est étrange d’associer de la réjouissance à cette période-là, sous ces latitudes-là, avec ce concept-là, pourtant, oui, c’est un fait, j’ai hâte de passer le mois de novembre, en Suisse, à boire des apéros bosser.

(NDLR. j’atterris le 10 novembre)

La planche de salut

Voilà des mois que j’ai délaissé ce blog. Volontairement, en toute connaissance de causes. C’est que voyez-vous, je me fatiguais toute seule à n’avoir que des envies noires, en terme d’écriture, rassurez-vous tout de même, je n’en étais pas à planifier de me pendre à un cocotier par la ficelle du bikini. Mais comme je suis le genre de fille qui assume plutôt les décisions qu’elle prend dans sa vie, les lumineuses comme les bien pourries, c’eût été un peu facile facile de transformer ce blog en bureau des plaintes et vous auriez fini par rapidement vous lasser (Si, si! ).

Mais j’y vois désormais plus clair dans le magma de mes idées sombres. Santa Catalina, comme nous en dissertions avec une sympathique cliente de la même obédience féministe que moi ( puisqu’il semblerait que ce soit devenu une secte honteuse, trolls & haters passez votre chemin), n’est pas exactement l’endroit le plus émancipateur qui soit quand on est une femme de 38 ans, indépendante, plutôt libertaire, allergique à l’intendance ( ménagère et administrative) et de facto sans enfant. Alors j’entends déjà les âmes chagrines murmurer: “mais tu t’attendais à quoi?”. Et bien, franchement, à rien! Vraiment, je le jure votre honneur. Je n’ai pas fuit la Suisse, ni la société occidentale, ni une situation professionnelle insupportable, ni une vie sociale désertique! J’étais indépendante, sans chef, sans horaire, donc j’avais déjà résolu depuis un moment les deux trucs qui plombaient mon existence. Et en plus j’avais un vélo électrique, un truc si t’es pas lausannoise, tu peux pas comprendre le bonheur extatique que cela procure! Donc pas d’attentes particulières, j’allais très bien, mais plutôt un élan qui m’animait. Une envie de vivre ailleurs, peut-être de vivre plus fort, d’être bousculée, d’ajouter de l’expérience statique à mon goût prononcé pour les errances géographiques (c’est un peu mes « forêts de Sibérie », sans le froid, les russes et la vodka, ouais bref ça n’a rien à voir, mais j’aime bien convoquer Sylvain Tesson de temps à autre (je suis amoureuse de son cerveau), notamment quand des relents de misanthropie m’envahissent.) Il s’agissait surtout d’explorer les confins de ma zone de confort, histoire de sentir la vie palpiter comme les tempes d’un migraineux. Mission accomplie.

Gérer les dysfonctionnements des pays en voie de développement (les incessantes coupures d’électricité, la lourdeur et les absurdités bureaucratiques), faire le constat que non, on ne va à priori pas devenir amis avec les gens qui sont nés ici, dans ce bled de 400 âmes, au milieu d’un néant éducatif et culturel (ouais j’ai mal à ma gauche, à ma solidarité et mon angélisme, mais non, je vous assure, c’est au pragmatisme qu’il faut se vouer ici, de toute façon, eux ont encore moins envie que nous de devenir nos amis) à 2 heures de route de la première immonde agglomération commerciale ville. Constater que beaucoup d’expats vivant ici ont fuit, « quelque chose » et on ne sait pas toujours quoi. C’est d’ailleurs sûrement mieux ainsi, les histoires des uns et des autres ont tendance à ressembler à des façades de cinéma muet (du coup mon inclinaison naturelle pour les fantasmes romanesques est nourrie à souhait), et beaucoup d’entre eux s’y retrouvent finalement coincés par impossibilité financière, morale, voir pénale (certes je n’ai aucune preuve ce que j’avance) de partir. Enfin griller des toasts, même en se prenant un peu pour une candidate de Top Chef, c’est pas exactement l’idée que je me fais de la liberté et l’épanouissement. Pour moi gérer un hostal est un moyen, en aucun cas une fin. Ajouter à cela la structure géographique même de Santa Catalina, une seule route, qui s’arrête nette dans le Pacifique , et j’ai fini par me sentir carrément dans Prison Break, avec une seule idée en tête, me tatouer un plan d’évasion sur les fesses.

Et vous qui me suivez dans les sphères merveilleuses des réseaux sociaux, vous me voyez venir… non? Si l’on ne peut pas s’évader côté terre, il reste quoi? Bah oui, la mer!

Alors autant jouer carte sur table, avant de venir ici, avant d’essayer lamentablement de m’extraire de la gravité sur une planche bancale, avant d’avaler des hectolitres de sel et de sable par tous les trous et interstices possibles, même les plus insoupçonnés, le surf je m’en contrebalançais autant que la NRA des ados dérouillés. C’est malheureux, mais c’est vrai! J’ai même du faire preuve d’un peu de mépris, tout du moins de sarcasmes (pardon, pardon) : encore un sport de glisse où l’on ne cherche que l’adrénaline, et si on est une fille, en plus, on la cherche en string, et on se la pête grave, tous genres confondus.

Bref, j’étais ignorante, probablement envieuse et un peu revêche parce que cela semblait TOTALEMENT inaccessible pour la nulle à chier en sport que j’étais. Gamine, l’allure maigrichonne et inesthétique (mon p’tit surnom amical c’était Tchernobyl, était-ce de ma faute à moi si je portais des bagues, une coupe mulet et un mono sourcil… hum?), à la gym, on me choisissait toujours après le petit Pedro (qui ne parlait pas français, qui bavait et qui avait un gros ventre qui dégoulinait de son short (quelqu’un a-t-il des nouvelles du p’tit Pedro?)), dernière des dernières quand il s’agissait de former une équipe. Et encore c’est bien parce qu’on avait pas le choix parce que si on me prenait pas, on se faisait engueuler par le prof de sport. Pour la confiance et l’estime de soi, on repassera. Et puis à 13 ans, comme j’avais la colonne vertébrale qui partait aux fraises (gâtée par la nature, je vous le concède) , on m’a ouvert le dos, on y a placé deux tiges métalliques d’une quarantaine de centimètres, je suis redevenue à peu près droite, un peu moins bancale, et j’ai gagné 5 cm en 7 heures de bloc (les tiges sont toujours là à ce jour et je ne sonne pas dans les aéroports, merci de ne pas avoir posé la question). Et j’ai commencé à régresser dans le seul sport pour lequel j’avais un tant soit peu de talent, le ski. Fallait pas tomber, aller doucement, ne plus s’aventurer dans les champs de bosses ( c’était très à la mode dans les années 80-90, on les dévalait en combi fluo, les skis hyper serrés, je suis vraiment vieille). Bref, du coup autant arrêter, le centre de gravité s’était déplacé, la peur était là, c’était trop tard. J’ai eu une dispense de sport pour le reste de ma scolarité, j’en étais très fière. Et puis j’ai rien fait pendant plus de vingt ans, ce qui faisait de moi une sympathique grande fille toute molle (ndlr. Le Chameau sauvage, Philippe Janeada) avec qui on aime bien boire des coups jusqu’au bout de la nuit, mais pas tellement se lancer dans des défis outdoor.

Bref, j’ai remis un orteil dans le sport au début de la trentaine, parce que j’en avais marre d’être toute molle, et que j’aimais bien marcher à la montagne, -je suis contemplative-, mais je frôlais la crise cardiaque à chaque pas. Mon genre, c’était donc le sport extrême de vieux. Youpie, estime de soi, rebelote! Il y a eu le yoga ensuite, il y a toujours, mais sachant que mon dos de Robocop me permet à peine de réaliser 50% des postures ( et qu’il y a toujours un con de prof qui te croit à moitié, pour te dire, ah, mais t’as qu’à refaire celle d’avant. Merci je me sens pas du tout l’handicapée du cours comme ça) , je finis toujours par revenir au constat suivant: c’est cool mais je pourrais jamais progresser pour cause structurelle, de toute façon je suis nulle en sport!

Et puis voilà, Santa Catalina, l’ennui, la prison, l’arrivée de ma copine surfeuse Célia pour 10 jours… Je me suis dit pourquoi pas… après tout, je n’ai rien à perdre, j’ai aussi le droit d’être nulle en surf! J’ai loué ma petite planche. Je me suis mise à l’eau, et là, j’ai galèré: j’avais peur des vagues qui déferlaient, terrorisée de passer dessous sans savoir quoi faire de ma planche. Pendant 1h30, j’ai essayé, vainement de poser ne serait ce qu’un p… de pied sur cette foutue planche, enchaînant les tasses et les chutes spectaculaires (en vrai, elle étaient sans doute juste pitoyables) au milieu des petits strings qui assurent dans des vagues énormes (1 mètre quoi, mais dans l’eau on dirait des immeubles) et de musculeux locaux qui te frôlent avec leur planche, juste pour te faire chier, et te signifier comme si tu le ne savais pas déjà, à quel point tu n’es rien qu’un pauvre mollusque à la dérive, d’ailleurs il pourrait très bien te scalper avec leurs ailerons, mais enfin tout de même ce ne sont pas des assassins.

J’avais les genoux en sang, j’étais lessivée au propre comme au figuré et je me sentais étrangement complète, lavée, sereine. Alors , sans savoir vraiment pourquoi, sans intellectualiser, j’ai recommencé. Et j’ai posé une plante de pied sur la planche puis les deux. Célia est arrivée avec son enthousiasme communicatif, puis Tania et sa détermination sans faille nous a rejoint. On s’est encouragée, soutenues, réjouies des avancées des unes et des autres, un gang de filles, du women empowerment puissance 1000. J’ai eu pour la première fois l’impression d’être en vacances ici. Chaque jour des progrès minimes, mais des progrès quand même. Un jour tu te lèves tel le messie sur ton surf et tu tiens une seconde. Puis deux. Puis tu glisses 5 secondes, et tu arrives même à tenir jusqu’à la plage sans tomber. Et puis, tu réalises que les vagues (les mousses soyons honnêtes) que tu attrapes sont plus fréquentes que celles que tu rates. Plus tu y retournes, plus tu aimes, plus tu te sens bien, plus tu comprends le rythme de l’océan, plus tu vis le moment présent, plus tu es fière et forte. Parce que vraiment c’est dur d’apprendre à surfer. Pas seulement quand on est nulle et qu’on a presque 40 ans. En fait, c’est dur pour tout le monde. Et ça fait appel à beaucoup de ressources aussi bien physiques que mentales: la perseverance, le courage, la capacité d’abandon, la compréhension de l’océan, la confiance en soi, la patience.

Pour la première fois de ma vie je ne me sens pas limitée par mon dos ou ma force physique. Je ne me sens même pas si nulle que ça en fait. J’ai trouvé mon espace de liberté. Un espace à conquérir. Du coup, je me suis fixé un objectif, un vrai, un ambitieux. Je veux surfer sur une longboard, pas en faisant semblant ou à moitié mais en maîtrisant vraiment!

J’assume même le désir de vouloir ressembler aux meufs qui se la racontent dans cette vidéo. Et la quête de l’adrénaline n’est pas la mienne, pas ma came, chercher toujours plus gros, toujours plus dangereux, je le laisse aux aficionados, il y en a bien assez. Je reste, et je serais toujours une trouillarde précautionneuse. En revanche glisser en douceur sur de petites vagues avec style et plaisir (la marge de progression est encore abyssale) je dis oui, oui, oui (bref j’ai trouvé un truc de hipster à faire sur l’eau) !

Et j’ai résolu, au moins partiellement, une des équations qui me préoccupait depuis des mois. Non, je ne me vois pas vivre longtemps à Santa Catalina, en revanche, je crois bien que je ne pourrais plus me passer de l’océan… qui a l’avantage d’être vaste et ses rivages innombrables.

À suivre….

Le courage des (pélicans) oiseaux

(Parce que je porte beaucoup d’amour à Dominque A, et même si sa chanson n’a pas grand chose à voir avec l’histoire qui suit.)

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Tout a commencé il y a une vingtaine de jours. A vrai dire, si je voulais être précise, je dirais que tout a commencé, il y a bien plus longtemps, un jour de janvier 2014, en lisant, dans un hamac bariolé, l’histoire d’un soldat jordanien brûlé vif dans une cage (oui, il y a des mots qui ne s’accordent violemment pas entre eux dans cette phrase) à quelques mètres de l’endroit où j’écris ces lignes, à 2h du premier supermarché, et à quelque 80 000 litres de kérosène de Lausanne. Peut-être même, que tout a vraiment débuté, sur cette plage de 14 km, en décembre 2009. Ça sentait bon le sable chaud, la luxure et la passion ravageuse des premiers mois. On regardait le soleil tomber dans la Pacifique, accompagné dans sa chute par un ballet de pélicans, (ah ouais, vous faites le lien, hein ?) depuis la terrasse défoncée d’un hôtel bancal tenu par une bande de Colombiens droits sortis de Narcos. Et on s’y voyait bien, à leur place, avec un peu moins de coke et beaucoup plus de goût, notamment en terme de terrasse défoncées (et non pas de défonce, vous me suivez… )

Mais voilà, la précision, c’est pas trop mon truc, et puis l’histoire que je veux vous raconter, elle débute vraiment il y a un peu moins d’un mois, dans ma cuisine, (à l’époque où j’en avais une vraie – qui avait de surcroît l’énorme qualité d’être équipée, on ne salue jamais assez les cuisines équipées, je peux vous l’assurer). Je sortais la vaisselle de la machine, (à l’époque où on en avait une donc) et j’ai regardé longuement un verre banal, il aurait pu être d’Ikea mais je crois qu’il venait de la Coop, et là, sans aucun lien de cause à effet, j’ai senti une lame de nostalgie et de terreur me submerger, prendre ses aises dans mon corps, entre ma glotte et mes intestins et s’y installer durablement. Pour la première fois, j’ai senti que toute cette histoire de changement de vie au Panama, n’allait pas être un parcours bien-être au hammam de Berne, mais plutôt une Spartan Race bien boueuse sans ligne d’arrivée prédéfinie. Bref, la peur avait débarqué dans ma vie, et même si l’idée me déplaisait fortement, il allait quand même falloir s’injecter une petite dose de courage bien concentrée pour affronter les premiers jours du reste de ma vie. J’ai regardé longuement mon verre les yeux vitreux, et puis le temps a passé comme dans la DeLorean de Marti MacFly, en un éclair, et je me suis retrouvée au-dessus de l’Atlantique, les yeux bouffis, le sanglot usé, moche et pliée et sans un reliquat de larme pour hydrater mes pupilles (je vous rassure les larmes sont revenues par litres, et les sanglots se sont montrés bien plus résistants qu’il n’en avaient l’air…).

Parce qu’en fait, non, tadam roulements de tambours, on ne change pas de vie comme de string, comme ça nonchalamment sans y penser! Et moi, je pensais quand même un peu que ça allait se passer comme ça, que j’allais enfiler ma nouvelle vie, me dire que c’était cool d’en avoir une flambant neuve, et puis continuer à la vivre comme si de rien n’était.

Alors du coup, je faisais de théories, aux gens si nombreux, qui y allaient, comme ça, avec leurs histoires de courage! « Qu’est ce qu’on était courageux. Et quitter le confort, et les amis, et blabla… . Et moi, qui affectionne tant les théories, je répliquais inlassablement que le courage c’était plutôt d’aller bosser tous les matins dans une banque, ou pire de se lever pour aller écrire, enregistrer ou tourner des sujets pour une entreprise de presse qui peut vous jeter du jour au lendemain comme un vieux tampon souillé – merci pour ce moment. Mais en tous cas pas de partir vivre au Panama, à côté de trois plages de rêve, à 115 km de la société de consommation. Mais ça c’était avant !

Santa Catalina, à 115 km de la société de consommation

Parce qu’aujourd’hui, sur la petite terrasse de notre guesthouse en devenir, à écouter placidement les hectolitres de flotte qui s’abattent sur le toit de tôle ondulée, j’ai développé disons-le, une nouvelle approche. Je m’explique. A un moment donné dans une vie, on met en place des trucs qui pourraient métaphoriquement ressembler à des barrières, des murs, du barbelé. Certaines personnes s’en entourent et n’arrivent plus à en sortir, alors que d’autres les érigent depuis l’extérieur, de sorte qu’il est impossible de revenir en arrière (et évidemment dans une vie à peu près normale on se situe souvent alternativement d’un côté ou de l’autre).

Par exemple, une fois que le spermatozoïde a fécondé l’ovule et que le délai légal de 3 mois est échu, dans les pays où le libre arbitre en la matière est souverain, il est tout de même assez rare que les gens fassent marche arrière. Une fois que la merveille du monde est là, on n’a plus le choix, on fait avec et on ne revient jamais complètement à sa vie d’avant qui était pourtant assez fun. Je ne compte plus le nombre de mes parents d’amis qui ont longuement disserté avec moi de leurs pulsions à s’essayer au lancer de nain, mais chez les gens équilibrés (ce qui est plutôt le cas de mes potes) on ne recourt pas à l’infanticide, soit c’est plutôt rassurant, on est tous d’accord. Bref je m’égare. Mais tout ça pour dire qu’avec le Panama, on a fait exactement la même chose. En achetant un terrain à Santa Catalina, une petite procédure sympathique de 3 ans (faut dire on a compliqué un poil l’affaire en achetant à une Française qu’on pourrait décrire comme «pas toute bien téléchargée dans sa tête», pour rester polis), en s’engageant pour deux ans à gérer un hostal voisin du terrain, en quittant nos jobs, notre appart, nos amis, en investissant une bonne partie de nos économies, (c’est clairement pas la partie où j’ai été la plus active, puisque cela implique d’en avoir, des économies), et en montant dans ce Boeing 777 de KLM avec en plus le chat en soute (en terme d’engagement là, on pouvait difficilement faire mieux), on a bien mis en place toutes les conditions pour ne plus avoir le choix. Ce qui n’est pas très courageux vous en conviendrez, même assez lâche si on regarde ça objectivement.

Le début de l’audace

Par contre là où ça devient plus intéressant, parce que contrairement aux parents susmentionnés ce n’est pas la justice qui nous tomberait dessus, si on revenait là maintenant, le ventre à terre en jurant qu’on aurait pas dû – «non vraiment c’est une abominable méprise » -, mais une énorme, que dis-je une abyssale déception de nous-même.

Et c’est là, précisément, où commence à intervenir une certaine forme d’audace. Quand il faut s’encourager pour faire les 2h de route qui te séparent des 10 magasins à parcourir pour être capable de te faire à manger tout seul, qu’il faut attendre 2h à la caisse (alors qu’il ne t’en reste qu’une à disposition pour ne pas rentrer de nuit, les phares de la voiture de location éclairant plus les arbres que la route, elle même pas du tout éclairée. Tu as déjà tenté l’expérience une fois, plus jamais donc), le temps que le subalterne fasse valider le ticket par le sous-sous chef, tandis que la cheffe ne comprend pas comment remplacer le tonner pour imprimer la facture et que la caissière doit rentrer trois fois le code du frigo à la main pour que le « système » le prenne en compte. Quand toi qui aimes tant la palabre et les grands débats à bâton rompu, tu es à peine capable de faire une phrase grammaticalement correcte dans ta nouvelle langue et que tu te sens comme amputée. Quand tu vas prendre ta douche, qu’elle est froide et qu’elle le sera désormais tous les jours alors qu’il ne fait même pas forcément si chaud dehors (il pleut), quand tu boirais bien un ginto avec tes copines pour leur raconter tous ça mais qu’elles sont à 10 000 km de là, quand il faut conduire sur la Panaméricaine entre les trous et les dépassements tout azimuts, (à gauche, à droite, à gogogadgeto-pont) quand la peinture grise du sol de ton futur loft-cave que tu as passé deux journées entières à étaler se décolle comme du cellophane sur un écran digital, quand il faut trouver une voiture (un gros pick-up qui pollue) à acheter et que tu sais à peine situer le capot. Quand tous les matins tu te lèves et tu sais que ta vie d’avant n’est plus. Alors tu te dis, tel Hollande pendant son quinquennat, que le courage, c’est maintenant. Et tu as peur. Et tu n’as pas envie d’affronter le monde. Tu repousses ton drap dans un sens, puis dans l’autre. Tu poses ton pied (sur un morceau de litière du chat) dans tes tongs. Et là, alors, étrangement, tu te sens quand même un petit peu fière, mais surtout très, très vivante.

Le courage des oiseaux – Dominique A